Pas plus haut qu’un petit roseau, j’accompagnais mon père à la hutte… Cette chasse si particulière devait vite devenir une grande passion ; nourrie au début par quelques sorties épisodiques mais surtout par d’innombrables évasions inhabituelles : pendant que mes petits camarades essayaient de comprendre les lois de la géométrie, je me mettais à rêver à d’innombrables vols de canards, vols qui me mettaient dans l’embarras lorsque mon instituteur s’apercevait de ma présence uniquement physique…
Mais revenons à nos canards... Une catégorie de ces oiseaux m'a toujours fasciné : ce sont les oies.
Quel jeune chasseur ou huttier même avec quelques dizaines d'années d'expérience n'a pas ressenti cette vive émotion qu'est le passage ou l'approche d'un vol d'anséridés ! Cette montée d'adrénaline, je l'ai vécue par une nuit de hutte qui s'annonçait banale mais qui se révéla vite être le plus beau souvenir de ma vie.
Début novembre 1994. Vallée de l'Authie.
Les vents sont mauvais depuis plus de trois semaines : Sud Ouest avec pluie et vent violent. Fabien et Thierry, deux copains étudiants de ma promotion ,non-chasseurs, ont accepté mon invitation avec un très grand plaisir car ils souhaitent enfin visualiser ce que je leur décris comme étant une véritable communion avec la nature.
Nous voilà donc débarquant, chargés comme d'habitude comme des baudets, traversant ces deux pâtures interminables mais ô combien agréables puisqu'elles annoncent le début du marais. En arrivant, nous jetons un rapide coup d'oeil aux guignettes : rien mais ce n'est pas surprenant puisque notre garde bien-aimé, protecteur de nos appelants, m'a prévenu au téléphone de son éternel « Y'a rien rien rien , Pas une plume» .
En sortant de la hutte, je constate avec surprise que le temps gris et pluvieux de ce matin fait déjà place à un ciel plus dégagé et à un temps plus frais. Le vent a faibli mais il est déjà passé à l'Est : serait-ce de bon augure ? J'attache mes fidèles appelants, deux mâles et quatre canes en espérant déjà qu'ils feront poser des vols cette nuit ?
La passée du soir arrive : elle est très calme puisque toutes les autres huttes sont inoccupées : le mauvais temps depuis plusieurs semaines a découragé les plus mordus. La passée terminée, j'invite mes deux copains à prendre l'apéritif et nous passons rapidement à table. Une boîte de conserve est ouverte et réchauffée : son goût n'est pas terrible mais qu'importe ; un bon vin et le plaisir de se retrouver entre potes à la bougie ne tarissent pas notre humeur.
Nous entamons une longue partie de tarot et l'heure passe. Il est déjà 22H40, l'ambiance est excellente, nous rions de bon c?ur mais tout à coup la voix de mes appelants me fait revenir à la réalité. Laissant mes deux compagnons compter les points de la partie (ça tombe bien, nous venons juste de la terminer), je passe le rideau pour arriver dans la salle de tir.
J'ouvre tout doucement deux guignettes. Oh, qu'il fait noir, on voit à peine à 20 mètres avec les jumelles. Il est vrai que la nouvelle lune ne favorise pas cette obscurité. Seul un faisceau de lumière dans le ciel laisse éclaircir une partie de la mare juste devant moi. Le ciel est en revanche magnifiquement étoilé et le vent semble établi à l'Est.
Tout à coup, j'entends en face les oies de la hutte voisine. Bizarre ! Mes appelants me tirent de mes rêves et ce sont d'un seul coup, énormes, tels des parachutes, plusieurs oies que je VOIS se poser juste en face de moi à 25 mètres. Il doit y en avoir une dizaine, elles sont éparpillées. Je m'approche tout doucement du rideau pour prévenir mes deux camarades qu'il y a une pose. Je ne les préviens surtout pas qu'il s'agit d'oies car ils éclateraient de rire : je passe en effet mon temps, à l'université, à imiter le chant des cendrées prêtes à poser.
Ils s'esclaffent car ils pensent que je plaisante : je leur ai, en effet, certifié que cette nuit, avant notre départ, nous verrait très certainement rentrer bredouilles. C'est pour cela que je leur impose rapidement le silence. Retour à la réalité : Les oies, que je distingue très difficilement sont maintenant à la file indienne et se dirigent rapidement vers la zone la plus sombre de la mare. Il faut faire vite !!! L'expérience avec mon père et ses amis me fait prendre la décision de ne pas changer de fusil ou de cartouches en de pareilles circonstances et c'est donc avec mon juxtaposé et deux coups de 6 que je vais essayer de tirer ces oies. Avec une très grande difficulté, je parviens à mettre dans le U de ma lunette la dernière oie qui est encore dans la zone la plus claire. Mieux vaut assurer une telle pose avec un seul oiseau.
Mais l'espoir d'un meilleur résultat me fait remonter cette ligne noire que je vois de moins en moins. Une masse plus importante m'indique rapidement où je vais tirer. Les deux coups partent en même temps (je préfère quand même assurer puisque je n'ai que du 6), la hutte tremble, mes copains hurlent et les oies décollent dans un vacarme infernal en repassant à quelques mètres au-dessus de la hutte ? Je me précipite sur mes jumelles en m'attendant à voir l'eau fouettée par des blessées mais ?Rien.
Je balaye avec mes jumelles la zone de tir : toujours rien ? Je commence sérieusement à m'énerver, mes copains me demandent le résultat : je dois finalement me résoudre à leur annoncer, dépité : rien. Je jure, je pleure, je ris jaune, je ne sais plus que faire alors je sors de la hutte avec la torche électrique. Dehors, c'est le noir complet : on ne voit pas le bout de ses chaussures. J'avance rapidement au pied de la hutte avec ma torche en balayant la zone de tir.
Et là, là dans mon faisceau de lumière, l'adrénaline monte et j'explose de joie lorsque je découvre une oie morte qui dérive tout doucement avec le vent d'est qui frise la surface de la mare. Une oie , c'est magnifique. Mais non, il y en a deux, OUI , DEUX oies cendrées qui ont choisi de se poser à jamais sur cette mare si accueillante. J'ai quand même un petit pincement au coeur en pensant à ces magnifiques oiseaux sauvages qui terminent ici leur voyage mais qui viennent de me permettre de réaliser mes rêves les plus fous de sauvaginier.
Nul n'est besoin de dire que cette pose a été plus que fêtée avec mes amis pendant le reste de la nuit.
A la passée du matin, trois sarcelles se posent à 30 mètres : c'est la saint Hubert aujourd'hui, je viens d'exaucer mon voeu le plus cher de sauvaginier alors je décide de ne pas les tirer. J'appelle mes deux amis pour qu'ils les observent et deux minutes plus tard, aussi rapides et silencieuses qu'elles étaient venues, elles repartent.
Une demi-heure plus tard un siffleur mâle se pose . Il rejoint le paradis des canards. Voilà notre partie de hutte qui touche à sa fin. Un peu plus tard, notre garde arrive et lance, en picard, son éternel «Alors, fieu?». Je lui réponds : « Rien, rien, rien, pas une plume... ». Trente secondes après, il jure les plus grands dieux des canards du ciel et de la terre en s'apercevant du résultat de la nuit !
Merci à St Hubert de m'avoir accordé une pose si inespérée. A partir de ce jour, quand j'appelais le garde pour savoir s'il y avait du gibier et qu'il me disait «Y'a rien , rien, rien, pas une plume », eh bien j'y croyais dur comme fer?
Aujourd'hui, il a rejoint St Hubert ? Allez Pépé, continue à envoyer des oujons* à chtiot ?
* oies en picard.
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